Le salon de musique

Les pièces de la maison n’existaient guère car je ne les aimais pas. Parfois, je suivais ma mère jusqu’au salon où le parquet ciré me faisait craindre de tomber. Les tapis sont doux à mes pieds qui n’en n’ont pas l’habitude. Il y a la table à thé qui renferme quatre ou cinq tables de plus en plus petites et dessus un cygne de porcelaine aux ailes entr’ouvertes, garnies de fleurs artificielles.

La cheminée réveille le souvenir des conversations des grandes personnes, peu comprises. J’étais sagement assise sur le tapis, entre les pieds des dames en visite. Il y a un canapé, des fauteuils, tout le salon bourgeois en tapisserie… et le piano noir, à contre-jour, entre les deux fenêtres sans doute, garnies de rideaux et doubles-rideaux et enfin un peu de lumière. Je crois qu’on y venait plutôt le soir y faire un peu de musique. Le porte-musique noir a des côtés ajourés en forme de lyre. Le tabouret rond, en velours rouge est monté sur une vis et trois pieds. Le dessus du piano me semble très haut.

Moi, le plus souvent, je suis assise par terre car j’aime me rouler sur le tapis. Je vois le métronome, sec et précis et des mains sur les touches, violemment éclairées sous deux abat-jours minuscules.

Je remarque au mur des aquarelles de fleurs faites par Maman Jeanne pour sa mère, lorsqu’elle était au couvent (il n’y a encore pas si longtemps puisqu’on en parle tant). Il y avait de grosses piles de partitions au papier jauni, les bords cornés, aux couvertures variées, qui me paraissaient si incompréhensibles qu’elles m’invitaient à des rêveries bizarres.

Ma tante chantait et jouait des partitions d’opérettes à la mode dont je me souviens encore. S’accompagnant, ma maman chantait aussi. Sa voix m’attristait, me faisant pressentir toutes les tristesses des grandes personnes : la séparation, l’amour, la mort. Cette voix, un peu brisée, émouvante, me donnait tant de détresse intérieure que je la trouvais pénible et mystérieuse quand elle me parvenait de loin, jusqu’à ma chambre. Mais lorsque j’étais là, tout près, presque sous le piano, les vibrations très fortes me faisaient moins peur. Elle chantait : « Ce bel amour d’argent que tu m’avais donné » et « Un petit navire qui longtemps naviguait…sans revenir, les mousses portaient barbes grises, le capitaine avait cent ans ».

A suivre ...