Il y eu un dîner-soirée avec déguisements obligatoires

Il y eu un dîner-soirée avec déguisements obligatoires

La Casa Velasquez

En octobre 1935, nous fûmes envoyés par l’Institut à la Casa Velasquez, palais digne de la France, à la cité universitaire de Madrid, pour une année. Nous partîmes, passant par la vallée de l’Allier, le Puy, la Provence, Toulon, Andorre vers Barcelone. L’Espagne me parut passionnante, surprenante, encore telle qu’on la sent en Don Quichotte avec sa violence, les drames, la mort et l’art religieux riche et tragique.

Une journée espagnole à la Casa Velasquez : Le repas que nous disons de midi n’étant jamais servi avant 14 heures, les artistes et les chartistes (dits cuistres) heureux d’avoir travaillé, se réunissaient joyeusement autour de la vaste table, environ une trentaine de personnes. En fin de repas on s’attardait plus ou moins autour du café. Chaque semaine, un couple «Père de famille» était élu pour commander nos serviteurs espagnols, choisir les menus, les dépenses en commun réparties en fin de semaine. A Noël, nous avions choisi un bon vivant et sa jolie préférée. Il y eu des extras : je me souviens d’un dragon en fruits confits et de dépenses un peu exagérées donnant lieu à d’amusantes compétitions. Un chartiste parlant l’espagnol, entre autres langues, fut élu avec Madeleine (la mère Weil ou merveille …). Il y eu aussi un dîner-soirée avec déguisements obligatoires. Un sculpteur s’était fait une tête de mort, mon Lucien se déguisa en marchand de porcs avec son cochon, son sombrero, etc. et moi en gitane allaitant son bambino.

L’ambassadeur de France à Madrid proposa au directeur de la Casa d’inviter un couple de ses étudiants à dîner. Ayant été choisis nous dûmes en urgence «déguiser» le pauvre peintre en tenue de soirée ; il fallut emprunter. Le Directeur offrit un gilet ; des copains possédaient des smokings mais l’un était trop large, l’autre trop petit …

Puis, étant assise à côté de l’ambassadeur, j’eu la mission de lui demander de nous prêter une voiture et son chauffeur pour une excursion de l’autre côté de la sierra vers Segovia. Nous obtînmes une Renault 8 places. Mais le soir, au retour de notre voyage, le chauffeur trouvant ses phares trop faibles, se colla à la voiture nous précédant. Elle accéléra, lui aussi, et c’est presque en volant que je cru nous voir arriver au Paradis !

Pour Noël il fut décidé d’aller en car au couvent de Guadalupe dans la sierra d’Estramadur où sont de très beaux tableaux de Francisco de Zurbaran ! Longue fut l’ascension jusque dans les nuages mais nous eûmes l’accueil très sonore du village en fête, tous s’étant fait un instrument avec un ustensile ou une boîte résonnant sur un rythme.

Dans l’immensité des bâtiments qui couvrent le sommet de la montagne, nous pénétrâmes dans l’entrée où brûlait dans un admirable grand plat, un brasero, un seul. La messe de minuit avec sa musique sacrée fut d’une grande beauté avec, par bouffées, les échos de la joie populaire. Après avoir pris un repas, un de nos hôtes moine, nous conduisit dans une galerie gothique dans laquelle s’ouvraient les dortoirs : un pour les filles, un pour les garçons. Ils étaient vastes comme des églises tout comme celui réservé pour notre couple. Nous avons dormi blottis, serrés comme des bêtes sans fourrure au cours d’une nuit qui fut la plus glaciale de ma vie. Heureusement le lendemain fut consacré à admirer des trésors et à peindre.

Puis au retour, le long de la route nous prîmes un repas composé d’œufs frits à l’huile d’olive, de charcuterie fumée et d’une bonbonne de vin extraordinaire. Ce fut pour moi le spectacle de la plus primitive des cuisines.

Vers la fin du mois de février nous partîmes vers le sud traversant Grenade, Cordoue, Séville, le long de la côte et fîmes même un petit détour par le Maroc et ses petits villages tout en peignant beaucoup. Cette partie de l’Espagne, était encore semblable au Moyen Age, où un jour de pension coûte 5 pesetas, grosse pièce d’argent, représentait une fortune dans ce pays pauvre. A la fonda, arrivèrent un jour un caballero avec sa dame. Ce fait était suffisamment rare pour que la maîtresse des lieux s'inquiète et s'active. A l’auberge les voyageurs venaient faire soigner leurs bêtes pour la nuit, s’attardaient à discuter et dormaient près du feu de l’immense cheminée, couchés sur leurs trésors. Ils étaient heureux dans le respect de la tradition et de la hiérarchie. C’était un vieux et son âne qui allaient quérir tout le jour, l’eau à la source.

Ailleurs, se trouvait, près d’un unique brasero une table ronde et dessous des puces. Je m’y installais pour écrire à mes parents, d’une écriture rapide, avec un stylo. Curieusement, le village tout entier vint voir ça ! Le seul sachant écrire était leur gendarme qui, comme un enfant, traçait lentement ses lettres.

Une fois, cherchant les WC, on m’indiqua « el campo » : ce fût l’âne qui m’accueilli dans sa litière. Au petit déjeuner, ni lait, ni beurre mais tous les fruits possibles, frais ou confits avec des gâteaux frits. Puis les si bons vins, conservés dans des outres en peau de bête, suspendus, qui prennent des goûts étranges.

A Malaga, nous peignîmes près des terrasses où les hommes du village s’offraient joyeusement des tournées. Et Doña Magdalena eut droit à une rangée de petits verres posés sur un guéridon voisin. A Tarifa nous rencontrâmes vent et tempête. Dès le premier matin, j’attrapais un gros rhume, mon grand nez coulant. Comme je grognais en m’éveillant, Lucien me dit : «ma pauvre chérie, qu’est-ce je vais pouvoir faire ? … pour ne pas l’attraper !».

Pour l’aller nous étions passés par la Provence ; au retour nous choisîmes de passer par Burgas puis par le Pays Basque assez rapidement, début juillet 1935, pour nous rendre aussitôt en Alsace.

En 1936 ce fut la guerre civile espagnole. Je me souviens du Guernica de Picasso.

A suivre ...

Un vieux et son âne allaient quérir l'eau à la source

Un vieux et son âne allaient quérir l'eau à la source

Nous fîmes un petit détour par le Maroc

Nous fîmes un petit détour par le Maroc

A Malaga

A Malaga