Fuite à St Etienne de Chomeil

Nous montâmes, de nuit, sur nos trois bicyclettes pour nous rendre à la gare d’une ligne secondaire et rejoindre en train un village près de Menet, St Etienne de Chomeil situé entre Bort-les-Orgues et Riom-es-Montagne. Sur la route, quelle émotion ! Nous croisâmes une auto de police. Nous apprîmes par la suite que c’était une auto volée ; la résistance descendait au commissariat brûler toute la paperasse.

Fuir et rester en danger est une misère, alors la Providence devient tendresse. Nous désirions rester en ce petit village qui ne se composait que d’une route, une église et quelques maisons et pas de logis meublé ! Mais nous rencontrâmes une dame âgée qui ne pouvait plus utiliser les pièces vides du premier étage de sa maison. Nous disposions de quatre fenêtres avec vue sur les toits et les montagnes. Le curé nous donna, heureusement, une vieille cuisinière car nous ne pouvions rien acheter. Tout nous fût prêté. Lucien en fit une liste qui nous émut. En une semaine ce fût admirable, nous fûmes installés et je décorais même, en teignant des loques avec du bleu à lessive, réalisant des étagères avec des boîtes à fromage et accrochant nos quelques tableaux emportés. Comme chaque foyer, nous avons pu toucher notre part de bois communal. Le menuisier offrait des copeaux pour activer le feu.

Le forgeron me fit un grand poêlon. Lorsque nous avions un peu de farine, plutôt du blé noir, nous faisions des crêpes en se passant le levain de maison en maison. C’était la joie du partage, encore plus forte en ces temps de pénurie.

Le mari de l’institutrice qui était sabotier sculptait magnifiquement dans le bloc de bois la forme des sabots. Je cherchais, en sa compagnie, des champignons (des mousserons) que nous mettions à sécher pour l’hiver sur tous les pupitres de l’école durant les vacances d’été.

On me proposa un demi cochon et, comme une bonne ménagère, je confectionnais le boudin, les saucisses, le salé, etc. Nous avons eu un sillon planté de pommes de terre dans le champ d’un ami. On avait du lait et de la viande de veau, clandestinement.

Un jour, ayant lavé par terre (wassingé) à l’aide d’un seau percé réparé avec des raclures de palette, je lançais l’eau sale vers un coin abandonné de la cour, ce qui eu pour effet d’écarter les orties. J’y vis le blanc de l’émail d’un pot de chambre qui fit très bien l’affaire pour Lisbeth. Lucien, en fendant les bûches avec une grande hache, fendit son pied aussi. Le sang se mit à couler le long de l’escalier. Lorsque le docteur le recousit, je versais de l’éther au dessus et m’évanouis, non d’émotion mais à cause de l’odeur !

Le taureau et son troupeau de vaches vivent l’été dans la montagne mais, quand vient l’hiver, ils mangent le foin des vallées. On les mène boire soigneusement, à tour de rôle, à la fontaine de la place de l’église. Un jour, sous nos fenêtres, il y eu un drôle de spectacle et un grand tumulte : un taureau attrapant un autre par en-dessous, l’envoya en contrebas par-dessus le remblai !

Dans cette région, le paysage est semblable à un tissu épais et chiffonné : chaque ferme a sa montagne, il n’y a pas de plaine. A la mauvaise saison, la route restait longtemps sous la neige et le docteur arrivait sur le chasse-neige ou à cheval. Pour nous rendre à la messe on devait passer au dessus d’épaisses congères (cela me rappelle un propos du curé du haut de sa chaire, parlant du jeûne eucharistique : «si la cuillère ne tient pas debout, alors c’est du liquide !»).

Dans ces hautes régions du Massif Central dont St Etienne de Chomeil fait partie, le terrain est accidenté, parsemé de rochers. Les allemands qui se déplaçaient en colonne étaient, bien sûr, peu rassurés dans un tel environnement et n’occupèrent jamais ce secteur. Etre une armée d’occupation, se déplacer le doigt sur la gâchette, entraîne forcément des situations dramatiques.

Ma plus proche voisine était fermière et hébergeait des petits parisiens. Elle m’avait affirmé aimer sa fidèle truie apprivoisée plus que les humains.

Etant en quête de vivres, je me rendis dans une ferme en altitude, à l’écart. Je fus reçue dans une vaste salle par une dame qui me montra, en haut de son bahut la photo de ses 7 filles et juste à côté la photo de ses 7 fils. En me disant : «Je ne veux pas que vous repartiez sans rien», elle ouvrit le tiroir au bout de la longue table, souleva un grand pain rond et m’en coupa une part.

Nous sommes ensuite devenus intimes de cette famille ainsi que Lisbeth avec les plus jeunes des filles. On disait ensemble la prière du soir devant la grande cheminée. Sur la droite du foyer il y avait le fauteuil du père, son tabac et sa pipe dans une niche et sur la gauche celui de la mère, avec sa Bible dans une autre niche. Au dessus du linteau, au centre, pendait un crucifix. Et comme souvent, poussait un très grand arbre près de la maison, tout près duquel se trouvait le téléphone collectif. Sur ces hauteurs la foudre s’est aussi parfois invitée !

A suivre ...

Lisbeth et le chat

Lisbeth et le chat