(1905-1994)
Vint aussi un temps de deuil : nous avons retrouvé notre maman Weil très malade. Dans la communauté juive, on envoyait une femme pour aider et servir une malade (un homme quand il s’agissait d’un homme). Il était important de ne surtout pas laisser quelqu’un seul dans la peine.
Au moment de sa mort, la famille fut comme en sabbat : aucun travail n’était fourni et tout était offert. Le ménage fut fait, la nourriture apportée ; la toilette et les funérailles accomplies selon la tradition. La sœur de Lucien, Rosa, ne parlait pas le français. Nous avons pensé bien faire en lui laissant toutes ses habitudes ; mais elle ne survécu qu’un an à sa maman.
Un bonheur cependant éclaircit la peine : nous reçûmes notre première fille adoptive, notre charmante Lisbeth.
Nombreuses furent les œuvres de cette époque. La qualité de nos toiles d’Espagne contribua à leur succès aux différentes expositions à Paris et en Alsace.
En travaillant en son atelier, Lucien entendait à la radio allemande, Hitler aboyer ses discours. Ce fut une période d’inquiétude, de folie, de haines grandissantes ; tout cela nous conduisant vers la guerre. Un jour, pendant nos vacances à Erquy (Côtes d’Armor), le glas se mit à sonner tout au long de la journée ... (une tierce mineure un peu fêlée qui m’émeut encore aujourd’hui).
Je conduisis mon Lucien à la gare de Lamballe pour prendre un des premiers trains de mobilisés en direction de Paris. Le soir arriva, souvenir lugubre. J'ai regardé la nuit longuement, à la fenêtre de l’hôtel face à la gare. Quel désespoir ! J’ai vu l’écroulement de la joie, de la beauté ; un gouffre, l’enfer …
J’ai reçu en don la foi. Charles Péguy parle d’une profonde blessure, il écrit : «La charité même de Dieu ne panse point celui qui n’a pas de plaies»… «Sur une âme habituée, la Grâce ne peut rien. Elle glisse sur elle comme sur un tissu huileux … ‘Les honnêtes gens’ ne mouillent pas à la Grâce…»
A suivre ...