MADELEINE WEIL-LESTIENNE

BIOGRAPHIE - SOUVENIRS

Dietrich Bonhoffer (1906-1945)

Lucien fit des portraits d'officiers allemands

Les affres de la guerre (2e partie)

En juin 1940 mon mari fut fait prisonnier ; il était soldat français de 2e classe mais cachait être alsacien et parler allemand. Au Stalag, près de Berlin, il se dit incapable de travailler à cause d’une épaule paralysée. Il put installer un coin peinture et fit des portraits, des caricatures de camarades et d’officiers allemands. Cela devint un lieu d’échanges. Un officier posa pour lui, il était étudiant en théologie. Il lui fournit tout le matériel utile. Dans le carnet que Lucien a rapporté se trouve la copie de ce portrait. D’après le caractère du visage et les photos qu’on a de lui, il s’agit de Dietrich Bonhoffer (1906-1945).

Début 1941, Lucien m’annonça qu’il avait entendu lors d’une visite de santé, les médecins allemands le proposer pour le premier train de rapatriés. C’est en mars que je reçu la carte inter-zone portant la signature de l’hôpital militaire de Vichy qui me prévenait que mon mari était hospitalisé.

Pour le rejoindre, je voulu utiliser l’adresse d’une famille qui faisait passer régulièrement la ligne en fraude à Vierzon. Ce n’était pas sans danger. Je préférais simplifier la chose : j’empruntais la carte de la femme de ménage qui, habitant de l’autre côté du pont, avait un droit de passage. Avec d’autres, à 18h30, je passais devant le fonctionnaire sans encombre. Dans sa lustrine noire, disant sont chapelet, une couturière à façon portait mon léger bagage ; elle reporta ensuite la carte à la prêteuse. On me prévint : «tournez à droite, il y a une grille au fond du jardin et un abri à outil où il y a de quoi dormir. Un car passera le lendemain matin». Le train des rapatriés devait passer par la Suisse. Mais une fois en France, le choc : le manque de nourriture et les lois de l’Etat français antisémites. Arrivé à Vichy, Lucien fut débarqué d’urgence, il avait 40 de fièvre. Puis le convoi poursuivit son chemin vers les Pyrénées.

Une jeune infirmière, bénévole naturellement, fut désignée pour s’occuper de Lucien Weil. Elle se nommait Mme Zadoc-Khan, veuve du petit-fils du grand rabbin tombé à la débâcle. Elle était pupille de la nation, son père étant mort à Verdun ; elle avait un frère qui fût plus tard pris dans une rafle à Lyon et mourut déporté ! Sa vieille maman ne pouvait plus croire au bon Dieu…Elle fut longtemps amie de ma maman Jeanne. La jeune infirmière, parisienne d’origine alsacienne, se prénommait Odette. Pour la famille Metzer Zadoc-Khan, banquiers, le mariage de leur fils et d’une cousette parisienne était une mésalliance. Mais elle savait créer de beaux modèles et ainsi sauva l’avenir.

Le retour de Lucien étant impossible, il fallut trouver un logis. Sur un vélo prêté je cherchais, allant jusqu’à la Chaise-Dieu. Finalement, chez une vieille, je trouvais à Châtel Guyon, une grande chambre. Je fis la cuisine à ses côtés bien qu’il fût difficile de trouver de la nourriture. Elle m’envoya chercher des pommes de terre dans une ferme à la montagne avec une vague description de l’itinéraire. Je rencontrais un gros orage en redescendant et rentrais si trempée que je dû rester en chemise de nuit plusieurs jours, attendant que mes vêtements soient secs.

Le jour où mon époux m’a rejointe est le plus beau jour de ma vie … Je ne possédais que 5 francs et Lucien sa petite prime de démobilisation. Mais avec toutes ces chaînes tombées, un alléluia chantait en moi, «heureux les pauvres». Quelle ironie, dire qu’en 1914 Maman Brevet regrettait ses brillants …

A suivre ...

En juin 1940 mon mari fut fait prisonnier