MADELEINE WEIL-LESTIENNE

BIOGRAPHIE - SOUVENIRS

Au mois de décembre nous fîmes une exposition de 40 peintures

A Vichy

Vichy était surpeuplée, tous les logis pleins et sur les trottoirs se trouvait la foule la plus hétéroclite possible. Je mangeais à la soupe des réfugiés, heureuse de faire ma vaisselle à l’eau bien chaude. Ce mois de mars étant frais, je demandais un vêtement au vestiaire d’échange, le même que celui de Viroflay. Je fus trouvée digne d’un joli tailleur de flanelle blanche ; la Providence a de l’humour.

Un matin je rencontrais sur le trottoir notre marchand de tableaux de Strasbourg, Aktuaryus. Il me commanda des illustrations nécessitant des costumes militaires anciens. Je trouvais une grande librairie sur le Parc, y entrais et demanda à consulter le Grand Larousse. La libraire me reçu amicalement tout en me présentant ses vieux parents. Ils trouvèrent un lieu où me coucher.

Ce même jour, nous avions prévu notre mariage religieux à l’église Saint Louis, le curé ayant promis de trouver des témoins pour midi. Croyez au miracle : c’était la bibliothécaire ! Nous sommes restés liés ensuite par de longues années d’amitié, elle et sa famille.

Savoir peindre, tenir ce métier dans sa main même dans un monde absolument bouleversé, représente un langage universel, exprimant l’essentiel, le vrai, le beau.

A Vichy, il y avait les appartements des luxueux hôtels, les ambassades de tous pays, les bureaux de l’Etat français, ceux des Affaires juives, et ceux des officiers allemands qui n’étaient pas encore considérés comme «armée d’occupation». Au hasard des rencontres nous revîmes d’anciens amis et nous nous en fîmes de nouveaux. Mais c’était un temps d’incertitudes quotidiennes où l’on ne devait pas se fier aux apparences et se méfier des doubles vies.

Au mois de décembre nous fîmes une exposition de 40 peintures. Un officier allemand a finit par accrocher un petit nu, signé Weil, sous son portrait du Führer. L’ambassade grecque me demanda des illustrations pour des poésies ; à l’ambassade de Suède, Lucien fit un portrait. On lui offrit du beurre, de la crème mais … on téléphonait aussi des messages codés surprenants devant lui.

Je devais trouver une chambre chauffée et le travail se présenta : un turc ventripotent voulu qu’on lui peigne, nue, sa petite amie de 16 ans. Il vint surveiller arrivant en pousse-pousse tiré par un vélo. Un restaurateur réclama qu’on efface un drapeau français d’un centimètre sur un paysage de Châtel où sont les camps de jeunesse. Un fabricant de chocolat demanda la décoration de son salon de musique.

Une dame alsacienne sauva le grand tableau «Charité» en l’attachant au toit de sa voiture.

A suivre ...

Un turc arriva en pousse-pousse tiré par un vélo